Témoignage par Thiébaut Barthelmé, Documentaliste
J’ai 48 ans. Après un bac littéraire, et un DEUG de droit, je suis entré dans une grande banque dans l’Est de la France.
Pendant 8 ans, j’ai été employé de banque, j’ai été polyvalent pour pouvoir remplacer des collègues, particulièrement dans les activités de titres, au guichet. J’ai occupé divers postes administratifs, en contact ou non avec la clientèle. J’ai pu donc voir de l’intérieur la « banque de détail », qui s’adresse aux particuliers.
Puis j’ai été embauché et je suis resté 8 ans dans la filiale suisse de cette banque, dans un service spécialisé dans la livraison des opérations en Bourse étrangère (Back Office Bourse étranger). L’activité consiste à opérer le règlement des opérations conclues sur les marchés bousiers, à l’achat ou à la vente. Ceci m’a permis de me familiariser avec les termes et les notions utilisées dans les opérations boursières et sur les marchés financiers, ainsi qu’avec les différents produits de ces marchés. J’ai effectué de mon propre chef un bilan de compétences il y a 10 ans, ayant toujours été attiré par la documentation, et souhaitant changer d’activité.
Un licenciement intervenu moins d’un an après m’a permis de me réorienter et de faire un DUT de documentationà Strasbourg en un an. Les indemnités de l’Assedic ont été converties en indemnités qui m’ont permis de m’inscrire en année spéciale d’IUT. Après mon diplôme, l’atterrissage a été dur, car je suis resté au chômage pendant un an, les employeurs ne voyant pas le rapport entre la banque et la documentation, alors que ces deux activités peuvent être complémentaires. Il faut également reconnaître que le créneau est particulièrement étroit, et que cette double compétence ne peut s’exercer que dans des grands centres géographiques (Paris, Lyon, Strasbourg…, Bale ou Zurich en Suisse) ou dans des entreprises de la branche qui ont fait le choix financier de se payer un ou des documentalistes (banques, assurances, institutionnels). A la marge, on pourra trouver des associations professionnelles qui feront un choix identique pour des raisons stratégiques (veille, évolution réglementaire, lobbying).
J’ai pu commencer dans la documentation par le biais de l’intérim. La banque où j’avais fais mon stage professionnel m’a embauché comme documentaliste, en intérim puis en CDD pour un remplacement. Cette banque avait un centre de documentation(2,5 personnes), réservé aux collaborateurs de l’entreprise.
Malheureusement, ce centre était perçu à tort ou à raison comme la « danseuse » du PDG, problème qui se pose dans de nombreuses structures. Les activités réalisées étaient celles d’un centre de documentation standard : catalogage, cote, bulletinage, indexation de documents, saisie, gestion des dossiers thématiques, prêts d’ouvrages, abonnements, mises à jour de collections. Les collaborateurs étaient accueillis, posaient leurs questions, les documentalistes répondaient et/ou entreprenaient les recherches nécessaires. En dehors de ces activités basiques, beaucoup de recherches réglementaires ou de textes, peu de recherches approfondies sur un thème ou sur des points spécifiques.
En matière de produits documentaires, il était réalisé une revue de presse, sous deux formes, édition papier et mise en ligne sur le réseau. En matière de fonds, des dossiers thématiques, des usuels et ouvrages, et plusieurs bases de données «maison » et incompatibles entre elles, et un intranet très limité
La perception de la documentation et la défense des prés carrés des différents services, tout cela amenait les uns et les autres à se constituer leur propre documentation……
En fin de CDD, j’ai retrouvé très rapidement un CDI dans un centre de formation spécialisé en finance, en tant que documentaliste.
Raisons de l’embauche : connaissance du secteur bancaire et financier, langue anglaise pour la veille
But de l’embauche :
- Recherches rapides et immédiates avec éventuellement constitution de dossiers sur des sujets très pointus. Il s’agit de pouvoir répondre dans l’heure ou la demi-journée à une question précise posée par un client sur l’état de la réglementation sur un point précis, récupérer un rapport d’activité…. Dans un laps de temps de quelques jours, constituer un dossier sur une norme comptable, les résultats des principales banques d’investissement américaines du 1er semestre 2006 par exemple.
- Instaurer une veille sur les produits et marchés financiers, les marchés et produits dérivés, l’évolution de la réglementation financière française et étrangère, les bourses françaises et étrangères, les intervenants des marchés financiers(entreprises, autorités de tutelles, associations professionnelles etc…), les types de gestions pratiquées, la déontologie, des statistiques de marchés, etc…
L’entreprise pour des raisons financières, ne veut pas entendre parler de bases de données payantes, ni de logiciel paramétrable pour la veille. Refus de tout ce qui est payant, les logiciels gratuits sont mal vus.
Donc, tout doit être gratuit. D’où des inscriptions multiples et ininterrompues à des sites anglo-saxons qui proposent un ou deux mois gratuits d’essai pour des accès à des données, à des textes de fond ou à des bases, inscription à des sites spécialisés avec des profils et des alertes. Idem pour des journaux ou magazines français et étrangers, spécialisés ou non. Il y a un suivi régulier des sites. Dans la pratique cette partie de recherche a toujours été une partie importante de mon activité journalière, de plusieurs heures par jour.
Ces deux activités complémentaires se justifient par le coté « sur mesure » de l’entreprise, qui souhaite toujours être à jour sur des sujets pointus, par le fait que les supports ou documents fournis aux clients doivent intégrer les dernières nouveautés parues.
- Développer une base Access existante. Cette activité a été rapidement reprise par un spécialiste d’Access
- Gérer des dossiers documentaires, sous forme de classeurs, dépouiller, trier, indexer plusieurs mètres cubes de journaux et périodiques stockés. Activité récurrente, avec des volumes beaucoup plus faibles, un dépouillement quotidien de revues de presse extérieures
- Participation à la relecture et à la mise à jour de documents de formation destinés aux clients. Il s’agit de relire et surtout de remettre à jour des tableaux, des statistiques ou des graphiques qui figurent dans des supports de cours ou des documents destinés au client.
- Participation à la création d’un site – Abandonné rapidement, embauche d’un informaticien et de graphistes
Au bout de 2 à 3 ans, le poste a évolué en ce sens que les stocks ont été traités, indexés, et progressivement j’ai créé une revue de presse axée sur tous les thèmes cités plus haut, et tout ce qui est périphérique aux marchés financiers, ou ce qui peut potentiellement nous intéresser.
Parallèlement à la revue de presse, il m’a été demandé, ainsi qu’à tous les formateurs ou rédacteurs de l’entreprise de réaliser des notes ou des synthèses mensuelles sur des thèmes pour lesquels une veille existe en permanence (Bourse, Déontologie, Normes comptables, Epargne salariale…). Progressivement j’ai mis ces documents en ligne. Les documents sont accessibles sur le site de l’entreprise, et mis à disposition de stagiaires en version papier.
Avec l’accroissement de l’activité, il a fallu embaucher et former des aides documentalistes, et suivre leur activité.
Evolution professionnelle du poste
Mon métier est passé de la documentation basique à la conception et la rédaction de documents, et touche aussi à l’encadrement. L’activité est à la fois pointue par les thématiques suivies, et artisanale par les méthodes employées (veille)qui sont imposées par l’entreprise.
Mon poste a été supprimé fin août 2006.
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J’aimerais également aborder quelques points qui me paraissent importants.
Le problème du changement de métier.
C’est un vaste sujet dont les médias et les magazines nous rebattent régulièrement les oreilles. Ceux-ci véhiculent l’idée qu’il suffit d’être passionné pour changer de métier. J’ai des doutes par rapport à cette assertion. Le choix de changer d’activité pour devenir documentaliste, et ainsi bénéficier d’une « double compétence » (terme très à la mode) est loin d’être évident. En ce qui me concerne, entre l’idée de changer et le fait de matérialiser ce changement par un travail rémunéré, il s’est passé des années (réflexion approfondie, bilan de compétence, reprise d’études, recherche d’emploi, emploi salarié). Sans compter les réticences d’employeurs qui ont peur de miser sur quelqu’un qui se lance dans un nouveau métier…
On peut également se demander pourquoi tant de gens veulent se lancer dans la documentation, alors que les débouchés sont particulièrement restreints ?
Sur la double compétence en banque-finance et documentation
De manière très caricaturale on peut dire que sans Bac + 5/6 et profil de mouton à 5 pattes, point de salut. Il suffit de se souvenir de ce consultant basé à Paris qui cherche toujours et depuis de nombreux mois deux documentalistes financiers, et ne paraît pas les trouver.
Néanmoins, au coup par coup, des banques embauchent avec des profils plus versés dans la finance ou la gestion. L’ère de l’expérience acquise « sur le tas » est révolue.